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Selon l'étymologie, un monstre
est un être que l'on montre,
qui attire les regards par son étrangeté.
Pour le dictionnaire, c'est d'abord un individu dont la conformation
diffère de celle de son espèce. Dans une acception particulière,
les monstres sont les créatures fantastiques qui peuplent les
mythologies et l'art qu'elles inspirèrent. Il en est d'aimable,
comme les sirènes, d'étranges, tels les centaures. Mais
la plupart inspirent la répulsion ou la terreur : cyclopes,
dragons et autres dévoreurs de chaire humaine.
Le langage courant donne au mot une valeur résolument péjorative,
quand il qualifie un homme de monstre de dureté, ou d'orgueil,
ou d'ingratitude, comme si ces traits étaient exceptionnels
dans l'espèce. Un acte spécialement condamnable est
volontiers classé comme monstrueux. Ces façons de parler
sont liées au sentiment de malaise, voire d'hostilité,
que font naître en nous aussi bien la plupart des monstres de
la fable que les moutons à six pattes ou les bébés
à deux têtes, en général tout ce qui est
anormal.
Avant d'aborder les pages qui suivent, il nous faut dépouiller
le mot monstre de cette charge affective, étrangère
à l'attitude scientifique. Pour le chercheur dans son laboratoire,
les monstres sont des objets de connaissance, davantage : des instruments
de connaissance, surtout lorqu'il entreprend de les créer lui-même.
Ainsi l'on comprend que tel spécialiste décrive en termes
enthousiastes l'embryon difforme qu'il a réusi à cultiver,
et qui dans un autre contexte intellectuel ne serait rien que le symbole
même de la laideur. Ne le soupçonnons surtout pas d'être
un sadique qui se réjouit d'avoir mutilé la vie. Au
contraire, l'art de fabriquer des monstres à volonté,
est un des moyens dont nous disposons pour percer les secrets du développement
de la matière vivante et par conséquent pour arriver
à guider la vie vers le mieux-être de l'homme.
Extrait
de Diagrammes éditions du Cap Monte carlo Nov 62 par Michel
Rouzé
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